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devant les mineurs de Durham à leur grande assemblée annuelle ; je donnai des conférences à Newcastle, à Glasgow et à Edimbourg sur le mouvement socialiste en Russie, et je fus reçu avec enthousiasme... après les réunions la foule poussait dans les rues des hourras bruyants en l’honneur des nihilistes. Mais ma femme et moi nous nous sentions si seuls à Londres et nos efforts pour éveiller un mouvement socialiste en Angleterre paraissaient avoir si peu de chances de succès que nous nous décidâmes à partir pour la France dans l’automne de 1882. Nous étions sûrs qu’en France je ne tarderais pas à être arrêté ; mais nous nous disions souvent : « Mieux vaut la prison en France, que ce tombeau. »

Ceux qui aiment à parler des lenteurs de toute évolution feraient bien d’étudier le développement du socialisme en Angleterre. L’évolution est lente ; mais sa marche n’est jamais uniforme. Elle a ses périodes de sommeil comme elle a ses périodes de progrès soudains.

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Nous nous fixâmes une fois encore à Thonon, chez notre ancienne hôtesse, madame Sansaux, Un frère de ma femme qui se mourait de la phtisie et qui était arrivé en Suisse, vint demeurer avec nous.

Je n’avais jamais vu un si grand nombre d’espions russes que durant les deux mois de notre séjour à Thonon. A peine avions-nous arrêté notre logement, qu’un personnage suspect, qui se faisait passer pour un Anglais, loua l’autre partie de la maison. Des bandes, de vrais troupeaux de mouchards russes, assiégeaient la maison, cherchant à s’y introduire sous tous les prétextes possibles, ou se contentant de se promener devant la porte par couples, ou par groupes de trois et de quatre. Je m’imagine les merveilleux rapports qu’ils devaient écrire, car un espion doit faire des rapports. S’il se contentait de dire qu’il a monté la garde dans la rue pendant une semaine sans remarquer quoi que ce soit de mystérieux, il serait bientôt mis à la demi-solde ou congédié.