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dans de petits hameaux de la Sibérie ou du nord-est de la Russie, où ils étaient condamnés à végéter avec les sept ou huit francs que leur allouait par mois le gouvernement. Il n’y a aucune industrie dans ces hameaux et il était strictement interdit aux exilés de donner des leçons.

Pour exaspérer encore davantage la jeunesse russe, on n’envoyait pas leurs amis condamnés directement en Sibérie. On les enfermait pendant quelques années dans des prisons centrales, qui leur faisaient envier le sort des criminels condamnés à travailler dans les mines de Sibérie. Ces prisons étaient en effet épouvantables. Dans l’une d’elles — un foyer de fièvre typhoïde, comme le disait dans son sermon l’aumônier particulier de cette geôle, — la mortalité atteignit 20 pour 100 en douze mois. Dans les prisons centrales, dans les bagnes de la Sibérie, dans les forteresses, les prisonniers se voyaient obligés de faire leurs terribles « grèves de la faim », c’est-à-dire, de refuser toute nourriture pendant une semaine ou plus, pour se soustraire aux mauvais traitements de la part de leurs gardiens, ou pour obtenir quelque amélioration de leur situation, qui leur permît d’échapper à la folie, comme l’autorisation de se livrer à quelque travail ou de lire dans leurs cellules. L’horrible spectacle qu’offraient ces hommes ou ces femmes, quand ils avaient refusé toute nourriture pendant sept ou huit jours de suite et qu’ils gisaient sur le sol immobiles et l’esprit égaré, ne semblait pas émouvoir les gendarmes. A Kharkov les prisonniers mourants étaient liés avec des cordes et gavés de force.

Le bruit de ces horreurs transpirait hors des prisons, franchissait les immenses régions de la Sibérie, et se répandait de tous côtés parmi la jeunesse. Il y eut un temps où il ne se passait pas une semaine sans qu’on découvrît quelque nouvelle infamie de ce genre, ou pire encore.

Une véritable exaspération s’empara alors de nos jeunes gens. « Dans d’autres pays, disaient-ils, on a le courage