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officiers qui avaient appartenu au régiment, afin d’envoyer ces jeunes gens dans des écoles militaires, si ce n’était déjà fait. A cet effet un messager spécial avait été envoyé de Saint-Pétersbourg à Moscou où il se présentait la nuit comme le jour chez les anciens officiers du régiment d’Izmaïlovsk.

D’une main tremblante, mon père écrivit que son aîné, Nicolas, était déjà dans le premier corps des cadets à Moscou ; que son plus jeune fils, Pierre, était candidat au corps des pages ; et que son second fils, Alexandre, n’avait pas encore embrassé la carrière militaire.

Quelques semaines après on remit à mon père un papier lui annonçant la « faveur du monarque. » Alexandre recevait l’ordre d’entrer dans un corps de cadets à Orel, petite ville de province. Ce n’est qu’au prix de beaucoup de peine et de beaucoup d’argent que mon père obtint qu’Alexandre fût envoyé dans un corps de cadets de Moscou. Cette nouvelle « faveur » ne lui fut accordée qu’en considération de ce que notre frère aîné était déjà dans ce corps.

Et voilà comment, de par la volonté de Nicolas Ier, nous dûmes tous deux recevoir une éducation militaire, bien que, encore tout jeunes, nous haïssions la carrière des armes à cause de son absurdité. Mais Nicolas Ier veillait à ce qu’aucun fils de la noblesse n’embrassât d’autre profession, à moins d’infirmité. Nous allions donc tous trois devenir officiers à la grande satisfaction de mon père.