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étions en excellents termes avec lui, et, sous sa direction, j’appris bientôt un peu la gravure au noir. Le journal était toujours prêt à temps, de sorte que nous pouvions apporter les épreuves à notre camarade suisse qui était l’éditeur responsable, et à qui nous soumettions scrupuleusement toutes les feuilles avant de les imprimer ; puis l’un de nous voiturait les formes à l’imprimerie. Notre Imprimerie Jurassienne fut bientôt très connue par ses publications, et, surtout par ses brochures, qui, sur les instances de Dumartheray, n’étaient jamais vendues plus d’un sou. Il fallut créer un style tout nouveau pour ces brochures. Je dois dire que j’eus souvent la faiblesse d’envier le sort de ces écrivains qui peuvent développer leurs idées pendant des pages et se servir de l’excuse bien connue de Talleyrand : « Je n’ai pas eu le temps d’être bref. »

Quand il me fallait condenser les résultats d’un travail de plusieurs mois, — par exemple sur l’origine des lois — dans une brochure à un sou, il me fallait encore travailler dur pour arriver à être assez bref. Par contre, nous avions la satisfaction de voir nos brochures à un sou et à dix centimes vendues par milliers, et reproduites en traductions dans tous les pays. Mes articles de fond ont été édités plus tard, pendant que j’étais en prison, par Élisée Reclus sous le titre de Paroles d’un Révolté.

La France était toujours notre principal objectif, mais Le Révolté était sévèrement prohibé en France, et les contrebandiers ont tant de bonnes choses à importer de Suisse en France qu’ils ne se souciaient pas de compromettre leur situation en s’occupant de nos journaux. Je me joignis une fois à eux et passai la frontière de France en leur compagnie ; je trouvai en eux des hommes courageux et sûrs, mais je ne pus les décider à se charger de passer notre journal en contrebande. Tout ce que nous pûmes faire fut de l’envoyer sous plis cachetés à une centaine de personnes en France. Nous ne réclamions rien pour le port, nous en remettant à la bonne volonté de nos souscripteurs pour nous couvrir de nos