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cinq numéros que l’imprimeur nous prévint d’avoir à chercher une imprimerie. Pour les ouvriers et leurs publications, la liberté de la presse inscrite dans les constitutions est soumise à de nombreuses restrictions, en dehors des paragraphes de la loi. L’imprimeur n’avait rien à reprocher à notre journal — il lui plaisait même ; mais en Suisse, toutes les imprimeries dépendent du gouvernement, qui les emploie plus ou moins pour la publication des rapports de statistiques et autres travaux analogues ; et notre imprimeur avait été carrément informé que s’il continuait à imprimer notre feuille, il n’avait pas besoin de s’attendre à recevoir la moindre commande du gouvernement genevois. Je parcourus toute la Suisse française et je m’adressai à tous les imprimeurs, mais partout, même de la part de ceux qui n’avaient rien à objecter à la tendance de notre journal, je reçus la même réponse : « Nous ne pouvons pas vivre sans les commandes du gouvernement, et nous n’en aurions aucune si nous acceptions d’imprimer Le Révolté. »

Je retournai à Genève profondément découragé, mais Dumartheray n’en était que plus ardent et plus rempli d’espoir. — « C’est bien, disait-il. Nous allons nous acheter une imprimerie avec trois mois de crédit, et dans trois mois nous l’aurons payée. » « Mais nous n’avons pas d’argent, nous n’avons que quelques centaines de francs, » objectai-je. « De l’argent ? Quelle sottise ! Nous en aurons ! Commandons seulement les types tout de suite, et publions immédiatement notre prochain numéro — et l’argent viendra ! » Encore une fois il avait jugé juste. Lorsque notre premier numéro sortit des presses de notre propre Imprimerie Jurassienne, quand nous eûmes expliqué les difficultés où nous nous trouvions et que nous eûmes publié en outre deux ou trois petites brochures, — nous aidions tous à l’impression — l’argent vint, le plus souvent en monnaie de cuivre et d’argent, mais il vint. Toute ma vie, je n’ai cessé d’entendre les partis avancés se plaindre du manque d’argent,