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affaires m’avaient appelé ce jour-là dans les bureaux de plusieurs journaux. Je trouvai les rédacteurs transportés d’enthousiasme, et écrivant des articles enflammés en l’honneur de cette jeune fille russe. La Revue des Deux Mondes, elle-même, déclarait, dans sa revue des événements de l’année 1878, que les deux personnes qui avaient le plus impressionné l’opinion publique en Europe pendant cette année étaient le prince Gortchakov au congrès de Berlin et Véra Zasoulitch. Son portrait parut coup sur coup dans plusieurs almanachs. Le dévouement de Véra Zasoulitch produisit une impression profonde sur les ouvriers de l’Europe occidentale. En Italie, un drame, Véra Zasoulitch, que l’on avait joué dans une des grandes villes, fut bientôt interdit, parce que le public des galeries applaudissait frénétiquement les nihilistes, lorsqu’ils apparaissaient sur la scène, et faillit assommer l’acteur qui jouait Trépov, en lui lançant toute sorte de projectiles.

Pendant cette même année 1878, quatre attentats furent commis à de courts intervalles contre des têtes couronnées, sans qu’il y eût le moindre complot. L’ouvrier Hœdel, et aprés lui le docteur Nobiling, tirèrent sur l’empereur d’Allemagne ; quelques semaines après avait lieu l’attentat d’un ouvrier espagnol, Oliva Moncasi, qui tira sur le roi d’Espagne ; et le cuisinier Passamante se précipita armé d’un couteau sur le roi d’Italie. Les gouvernements de l’Europe ne pouvaient pas croire que de pareils attentats, dirigés contre la vie de trois rois, fussent possibles sans qu’il y eût au fond de l’affaire quelque conspiration internationale, et ils aboutirent à cette conclusion que la fédération anarchiste du Jura était le centre de cette conspiration.

Plus de vingt ans se sont écoulés depuis et je puis affirmer de la façon la plus positive que cette supposition était absolument dénuée de tout fondement. Cependant les gouvernements européens tombèrent sur la Suisse, lui reprochant de donner asile aux révolutionnaires qui fomentaient de pareils complots. Paul