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nécessaire de montrer, au moins par-ci par-là, que les ouvriers ne laisseraient pas fouler aux pieds leurs droits et qu’ils résisteraient. Nous allâmes tous à Berne lors de l’anniversaire de la Commune de Paris pour déployer le drapeau rouge dans les rues, malgré cette interdiction. Il y eut naturellement une collision avec la police, au cours de laquelle deux de nos camarades reçurent des coups de sabre et deux officiers de la police furent assez sérieusement blessés. Mais nous réussîmes à apporter le drapeau rouge jusque dans la salle, où fut tenu un meeting splendide. J’ai à peine besoin de dire que les soi-disants chefs du parti étaient dans les rangs et qu’ils combattaient comme tous les autres. Près de trente citoyens suisses furent impliqués dans l’instruction de cette affaire ; tous avaient demandé eux-mêmes à être poursuivis, et ceux qui avaient blessé les deux officiers de police se firent spontanément connaître. Ce procès valut à notre cause un grand nombre de sympathies ; on comprit que toutes les libertés doivent être jalousement défendues par la force, s’il le faut, si on ne veut pas les perdre. Les peines édictées par le tribunal furent donc très légères et ne dépassèrent pas trois mois de prison.

Cependant le Gouvernement de Berne interdit le port du drapeau rouge sur toute l’étendue du canton ; alors la Fédération jurassienne résolut de le déployer malgré cette défense, au congrès que nous devions tenir cette année-là à Saint-Imier. Cette fois, la plupart d’entre nous étaient armés et prêts à défendre le drapeau jusqu’à la dernière extrémité. Un corps de troupes de police avait été posté sur une place pour arrêter notre colonne ; un détachement de la milice se tenait prêt dans un champ voisin, sous prétexte de faire des exercices de tir : nous entendions distinctement leurs coups de fusil tandis que nous traversions la ville. Mais lorsque notre colonne apparut sur la place et qu’on jugea à notre air qu’une agression finirait par une sérieuse effusion de sang, le maire nous laissa continuer notre marche sans nous inquiéter, jusqu’à la salle où la réunion devait voir