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dépensa une fortune considérable au service de notre cause, et ne se préoccupa jamais dans la suite de ce qu’il mangerait le lendemain. C’était un penseur plongé dans les spéculations philosophiques ; un homme qui n’aurait jamais fait de mal à qui que ce fût, et qui pourtant épaula un jour un fusil et se jeta dans les montagnes du Bénévent, lorsque ses amis et lui pensèrent qu’ils devaient tenter un soulèvement ayant un caractère socialiste, ne fût-ce que pour montrer au peuple que les émeutes populaires devraient avoir une signification plus profonde qu’une simple révolte contre les collecteurs d’impôts.

Malatesta était étudiant en médecine ; mais il renonça à la profession médicale et aussi à sa fortune pour se vouer à la cause révolutionnaire ; plein de feu et d’intelligence, il était aussi un pur idéaliste, et durant toute sa vie — il approche maintenant de la cinquantaine — il ne s’est jamais préoccupé de savoir s’il aurait un morceau de pain pour son souper et un lit pour passer la nuit. Sans avoir seulement une chambre qu’il pût appeler sienne, il vendra, s’il le faut, des sorbets dans les rues de Londres, pour gagner sa vie, et le soir il écrira de brillants articles pour les journaux italiens.

Emprisonné en France, puis relâché et expulsé ; condamné de nouveau en Italie et relégué dans une île ; échappé et rentré encore une fois sous un déguisement, — il est toujours au fort de la lutte, en Italie ou ailleurs. Il a mené cette vie pendant trente ans. Et lorsque nous le rencontrons, sortant de prison ou évadé d’une île, nous le retrouvons tel que nous l’avons vu la dernière fois ; et toujours il recommence à lutter, avec le même amour des hommes, la même absence de haine envers ses ennemis et ses geôliers, le même sourire cordial pour un ami, les mêmes caresses pour un enfant.

Les Russes étaient peu nombreux parmi nous ; la plupart d’entre eux suivaient les social-démocrates allemands. Nous avions, cependant, Joukovsky, un ami de Herzen, qui avait quitté la Russie en 1863. C’était un