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dans l’ouest de l’Europe, et je pris la place de ceux qui avaient succombé après des années de lutte acharnée.

* * *

Lorsque j’eus débarqué à Hull et que je me fus rendu à Édimbourg, j’informai seulement quelques amis de Russie et de la Fédération Jurassienne de mon arrivée en Angleterre. Un socialiste doit toujours gagner sa vie par son propre travail ; en conséquence, je me mis à chercher du travail dès que je me fus établi dans la capitale de l’Écosse, où je louai dans un faubourg une petite chambre.

Parmi les passagers de notre bateau, il y avait un professeur norvégien, avec lequel je causais, essayant de me rappeler le peu que j’avais su autrefois de la langue suédoise. Il parlait allemand. « Mais puisque vous parlez un peu le norvégien, me dit-il, et que vous voulez l’apprendre, parlons-le tous les deux. »

« Vous voulez dire le suédois ? » osai-je lui demander. « Je parle suédois, n’est-ce pas ? »

« Ma foi, je croirais plutôt que c’est du norvégien, mais sûrement pas du suédois, » répondit-il.

Il m’arrivait ce qui arriva à l’un des héros de Jules Verne, Paganel, qui avait appris par mégarde le portugais au lieu de l’espagnol. En tout cas, je m’entretins beaucoup avec le professeur - admettons que c’était en norvégien - et il me donna un journal de Christiana, contenant le rapport de l’expédition norvégienne qui venait rentrer après avoir étudié les grands fonds de l’Océan Atlantique Nord. Aussitôt après mon arrivée à Édimbourg, j’écrivis un article en anglais sur ces explorations et je l’envoyai à la Nature, que mon frère et moi lisions régulièrement à Pétersbourg depuis sa première apparition. Le directeur en prit connaissance et me remercia en me faisant remarquer avec une extrême bienveillance, que j’ai souvent rencontrée depuis en Angleterre, que mon anglais était « très bon » et qu’il ne lui manquait que d’être « un peu plus idiomatique ». Je dois dire que j’avais appris l’anglais en Russie et que