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comporter comme si elle voyait l’image et applaudir bruyamment à cet endroit, de sorte que, finalement, nous commencions à croire qu’on voyait quelque chose.

« Phèdre » de Racine, - du moins, le dernier acte, marcha aussi gentiment. C’est-à-dire que Sacha récita supérieurement les vers mélodieux :

À peine nous sortions des portes de Trézène ;

Quant à moi, durant tout ce tragique monologue destiné à m’apprendre la mort de mon fils, je restais absolument immobile et indifférent jusqu’à l’endroit où, d’après le livre, je devais m’écrier : « O dieux ! »

Mais quelles que fussent nos représentations, elles se terminaient toujours par l’enfer. Toutes les lumières sauf une étaient éteintes, et celle qui restait était placée derrière un papier transparent peint en rouge pour imiter les flammes, pendant que mon frère et moi, cachés à la vue des spectateurs, nous figurions les damnés et poussions les hurlements les plus épouvantables. Ouliana, qui n’aimait pas qu’on fît devant elle des allusions au diable au moment où elle allait se coucher, avait le regard plein d’épouvante. Mais je me demande maintenant si cette figuration extrêmement concrète de l’enfer à l’aide d’une chandelle et d’une feuille de papier ne contribua pas à nous affranchir tous deux de bonne heure de la crainte du feu éternel. La conception que nous en avions était trop réaliste pour résister au scepticisme.

Je devais être un enfant bien jeune lorsque je vis les grands acteurs de Moscou : Schepkine, Sadovskiy et Choumski, dans le Revizor de Gogol et dans une autre comédie. Cependant je me souviens non seulement des scènes saillantes de ces deux pièces, mais encore des attitudes et des détails du jeu de ces grands artistes, qui appartenaient à l’école réaliste aujourd’hui si admirablement représentée par la Duse. Je me souvenais si bien d’eux que lorsque je vis les mêmes pièces jouées à Saint-Péterbourg