Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/406

Cette page n’a pas encore été corrigée

Perspective. Mais les conducteurs refusèrent énergiquement de donner leurs chevaux et l’officier n’osa pas les prendre de force.

Quant au violoniste et à la dame qui avaient loué la maison grise, ils s’étaient précipités dehors et s’étaient mêlés au groupe où se trouvait la vieille dame. Ils l’entendirent donner son avis, et quand la foule se fut dispersée, ils s’en allèrent tranquillement.

C’était une belle après-midi. Nous allâmes aux îles, où l’aristocratie pétersbourgeoise va voir le coucher du soleil pendant les beaux jours du printemps. Sur notre route, j’entrai chez un coiffeur dans une rue écartée et je me fis raser ma barbe, ce qui me changea naturellement, mais pas énormément. Nous errâmes sans but d’île en île, car, comme nous ne devions rentrer que très tard dans notre logement, nous ne savions où aller. « Qu’allons-nous faire en attendant ? » demandai-je à mon ami. Il examinait aussi la question. « Chez Donon ! » cria-t-il soudain à notre cocher ; c’était le nom de l’un des meilleurs restaurants de Pétersbourg. « Personne ne songera à nous chercher chez Donon, » remarqua-t-il tranquillement. « Ils nous chercheront partout ailleurs, excepté là ; nous ferons un bon dîner et nous boirons en l’honneur du succès de ton évasion. » Que pouvais-je répondre à une aussi raisonnable proposition ? Nous allâmes donc chez Donon, nous traversâmes les salons inondés de lumière et remplis de clients à l’heure du dîner et nous prîmes un cabinet particulier, où nous passâmes la soirée jusqu’au moment où nous étions attendus. La maison où nous étions descendus avait été fouillée deux heures à peine après notre départ, ainsi que les appartements de tous les amis. Personne ne songea à faire des recherches chez Donon.

Deux jours après je devais prendre possession d’un appartement qu’on avait loué pour moi et que je devais occuper avec un faux passeport. Mais la dame qui devait me conduire en voiture à cette maison, prit la précaution d’aller d’abord la visiter elle-même. Elle la