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sentier qui était le plus rapproché de la porte cochère, c’est-à-dire à environ cent pas - la sentinelle se trouvait sur mes talons. « Encore un tour, » pensai-je ; mais avant que j’eusse atteint l’autre extrémité du sentier, le violon cessa de jouer.

Plus d’un quart d’heure s’écoula, gros d’anxiété, avant que je pusse comprendre la cause de cette interruption. Alors une douzaine de lourdes charrettes, chargées de bois, entrèrent par la porte se dirigeant à l’autre bout de la cour.

Aussitôt le violoniste — un bon musicien, je dois le dire — se mit à exécuter une mazurka pleine de feu et d’entrain, de Kontsky, comme s’il voulait dire : « En avant maintenant — c’est le moment ! » Je m’avançai lentement vers l’extrémité du sentier, tremblant à la pensée que la mazurka s’arrêtât avant que je l’eusse atteint.

Arrivé au bout, je fis volte-face. La sentinelle était arrêtée à cinq ou six pas derrière moi. Elle regardait de l’autre côté. « Maintenant ou jamais ! » Je me souviens que cette pensée traversa mon cerveau comme un éclair. Je me débarrassai vivement de ma robe de chambre de flanelle verte et je me mis à courir.

Pendant plusieurs jours de suite je m’étais exercé à quitter ce vêtement incommode et démesurément long. Il était si long en effet que je portais le bas sur mon bras gauche, comme les dames portent la traîne de leurs amazones. J’avais beau faire, je ne parvenais pas à m’en débarrasser d’un seul coup. Je l’avais décousu sous les bras, mais cela ne m’avançait pas. Alors je me décidai à apprendre à m’en défaire en deux mouvements : d’un coup je lançais le bas de la robe que je portais sur le bras, de l’autre je jetais à terre le reste de la robe. Je m’exerçai patiemment dans ma chambre jusqu’à ce que je pus le faire avec la précision de soldats maniant leurs fusils : « Une, deux », et la robe était à terre.

Je n’avais pas grande confiance en ma vigueur et