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gens qui ne m’avaient jamais connu entrèrent dans le complot, comme s’il s’agissait de sauver le plus cher de leurs frères. Cependant l’entreprise était hérissée de difficultés et le temps passait avec une effrayante rapidité. Je travaillais beaucoup, et j’écrivais une partie de la nuit ; mais ma santé s’améliorait, néanmoins, avec une rapidité qui m’affligeait. Lorsque j’étais sorti dans la cour pour la première fois, je pouvais à peine marcher comme une tortue le long du sentier ; maintenant je me sentais assez fort pour courir. Naturellement, je continuais d’aller à mon pas de tortue, pour que mes promenades ne fussent pas suspendues ; mais ma vivacité naturelle pouvait me trahir à chaque instant. En même temps, mes camarades devaient enrôler plus de vingt personnes pour mener l’affaire à bonne fin, trouver un bon cheval et un cocher expérimenté, et régler des centaines de détails imprévus qui surgissent toujours dans ces sortes de conspirations. Les préparatifs prirent environ un mois, et à chaque instant je pouvais être ramené à la Maison de Détention.

* * *

Enfin le jour de l’évasion fut arrêté. Le 29 juin (ancien style) est le jour de la fête de saint Pierre et saint Paul. Mes amis, mettant à leur entreprise une pointe de sentimentalisme, voulaient que je fusse libre ce jour-là. Ils me firent savoir qu’en réponse à mon signal, « tout va bien à l’intérieur », ils lanceraient un de ces petits ballons rouges qui servent de jouet aux enfants, pour m’apprendre que « tout allait bien au-dehors ». Alors la voiture arriverait et on chanterait une chanson pour m’avertir que la rue était libre.

Je sortis le 29, j’ôtai mon chapeau et j’attendis le ballon. Mais je n’aperçus rien qui y ressemblât. Une demi-heure passa. J’entendis une voix d’homme chanter une chanson qui m’était inconnue : mais il n’y avait pas de ballon. L’heure était écoulée et le cœur brisé je rentrai dans ma chambre...