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porte, comme pour dire : « Vous voyez, je suis surveillé aussi. » Les pigeons seuls n’avaient pas peur d’entrer en relations avec moi. Tous les matins et toutes les après-midi ils venaient à ma fenêtre recevoir leur nourriture à travers les barreaux.

Je n’entendais d’autres bruits que le craquement des bottes de la sentinelle, le glissement à peine perceptible du judas et le tintement des cloches de la cathédrale de la forteresse. Elles sonnaient un « seigneur ayez pitié de nous » (Gospodi pomilouï) à chaque quart d’heure, une, deux, trois ou quatre fois suivant le cas. Puis la grosse cloche sonnait lentement les heures avec de longs intervalles entre chaque coup. Les autres cloches se mettaient alors de la partie, sonnant un cantique lugubre ; et comme elles changeaient de ton à chaque changement brusque de température, il en résultait alors une horrible cacophonie qui ressemblait à la sonnerie des cloches pour un enterrement. A l’heure sombre de minuit, le cantique était en outre suivi des notes discordantes d’un « Dieu protège le tsar ». La sonnerie durait alors un bon quart d’heure ; et à peine avait-elle pris fin qu’un nouveau « Seigneur, ayez pitié de nous » annonçait au prisonnier privé de sommeil qu’un quart d’heure de son existence inutile venait de s’écouler et que beaucoup de quarts d’heure, et d’heures, et de jours, et de mois de cette même vie végétative s’écouleraient encore avant que ses geôliers, ou, peut-être la mort, vinssent le délivrer.

Tous les matins on venait me chercher pour une promenade d’une demi-heure dans la cour de la prison. Cette cour peu spacieuse était pentagonale et entourée d’un étroit trottoir ; au milieu se trouvait un petit bâtiment, la salle de bains. Mais j’aimais ces promenades.

Le besoin d’impressions nouvelles est si grand en prison que pendant ma promenade dans mon étroite cour, je tenais mes regards sans cesse fixés sur la haute flèche dorée de la cathédrale de la forteresse.

C’était la seule chose dans mon entourage qui changeât