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J’avais désormais un but immédiat en perspective. A neuf heures du matin j’avais déjà fait les premiers cent tours de cellule et j’attendais les crayons et les plumes qu’on devait me donner. L’ouvrage que j’avais préparé pour la Société de Géographie contenait, outre un rapport de mes explorations en Finlande, une discussion détaillée des fondements mêmes de l’hypothèse glaciaire. Sachant que j’avais maintenant beaucoup de temps devant moi, je résolus de refaire et de développer cette partie de mon travail. L’Académie des Sciences mit son admirable bibliothèque à mon service, et un coin de ma cellule s’emplit bientôt de livres et de cartes, parmi lesquels se trouvaient la collection complète des excellents relevés géologiques de la Société de géologie suédoise, une collection presque complète de rapports sur toutes les expéditions au pôle arctique et des années entières de la Revue trimestrielle de la Société de géologie de Londres (Quaterly Journal of the London Geological Society). Mon livre grossit dans la forteresse au point de former deux forts volumes. Le premier fut imprimé par les soins de mon frère et de Polakov (dans les Mémoires de la Société de Géographie) ; tandis que le second, qui n’était pas complètement achevé, resta entre les mains de la troisième section, lorsque je m’évadai. Le manuscrit ne fut retrouvé qu’en 1895 et remis à la Société de Géographie de Russie qui me l’envoya à Londres.

A cinq heures de l’après-midi — à trois heures en hiver — c’est-à-dire dès qu’on m’apportait ma petite lampe, on m’enlevait crayons et plumes et je devais suspendre mon travail. Je me mettais alors à lire, le plus souvent des ouvrages historiques. Toute une bibliothèque avait été formée dans la forteresse par les générations de prisonniers politiques qui y avaient été enfermés. Je fus autorisé à enrichir la bibliothèque d’un certain nombre d’ouvrages importants sur l’histoire de la Russie, et avec les livres que m’apportaient mes parents je fus en mesure de lire presque tous les ouvrages et collections