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Mon premier mouvement fut de m’approcher de la fenêtre qui était placée si haut que je pouvais à peine y atteindre en lavant le bras. C’était une ouverture large et basse, pratiquée dans une muraille de quatre pieds d’épaisseur et garnie d’une grille de fer et d’un double châssis de fer.

A douze ou quinze mètres de cette fenêtre, je voyais le mur extérieur de la forteresse, d’une énorme épaisseur, au sommet duquel je distinguai une guérite peinte en gris. Je ne pouvais apercevoir un coin de ciel qu’en regardant en l’air.

Je fis une minutieuse inspection de la pièce où j’étais condamné à passer qui sait combien d’années. D’après la position de la haute cheminée de l’Hôtel de la Monnaie je conjecturai que j’étais à l’angle sud-ouest de la forteresse, dans un bastion regardant la Néva. Le bâtiment dans lequel j’étais incarcéré n’était cependant pas le bastion lui-même, mais ce qu’on appelle dans une fortification un réduit, c’est-à-dire, un ouvrage de maçonnerie intérieure à deux étages et de forme pentagonale qui est un peu plus élevé que les murs du bastion et destiné à recevoir deux rangs de canons. Ma prison était une casemate pour un gros canon et la fenêtre en était l’embrasure. Les rayons du soleil ne pouvaient y pénétrer ; même en été ils se perdaient dans l’épaisseur de la muraille. La pièce contenait un lit de fer, une petite table de chêne et un tabouret de chêne. Le sol était couvert d’un tapis de feutre peint à l’huile, et les murs tapissés d’un papier jaune. Mais pour assourdir les sons, on n’avait pas collé le papier sur le mur même ; il était posé sur une toile, derrière laquelle je découvris un treillis de fer, doublé lui-même d’une couche de feutre ; c’est seulement à travers le feutre que je pus atteindre le mur de pierre. Près du mur intérieur était une table de toilette et dans ce mur une épaisse porte de chêne où je remarquai une ouverture pour passer la nourriture et une petite fente protégée par un verre et fermée à l’extérieur par un petit volet à coulisses :