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qu’il n’était pas du tout charmé de recevoir un nouveau pensionnaire et qu’il avait un peu honte de son rôle ; mais il semblait dire : « Je suis soldat, et je ne connais que la consigne. » Là-dessus, nous remontâmes en voiture, pour nous arrêter bientôt devant une autre porte, où nous attendîmes assez longtemps qu’un détachement de soldats l’ouvrît du dedans. Nous suivîmes alors à pied d’étroites allées et nous arrivâmes à une troisième porte de fer, s’ouvrant sur un sombre passage voûté, au bout duquel nous entrâmes dans une pièce exiguë, obscure et humide.

Plusieurs sous-officiers de la garnison de la forteresse allaient et venaient dans leurs bottes de feutre assourdissant le bruit des pas, sans dire un mot, pendant que le gouverneur signait le livre du Circassien et accusait réception du nouveau prisonnier. On m’invita à quitter tous mes vêtements et à revêtir la tenue de la prison — une robe de chambre de flanelle verte, d’immenses bas de laine d’une épaisseur incroyable, et des pantoufles jaunes en forme de bateau, si larges, que je ne pouvais les conserver aux pieds lorsque j’essayais de marcher. J’ai toujours eu les robes de chambre et les pantoufles en horreur, et les gros bas de laine m’inspiraient du dégoût. Je dus quitter jusqu’à ma chemise de dessous en soie que j’aurais surtout désirer conserver dans cette prison humide, mais qu’on ne voulut pas me laisser. Je me mis naturellement à protester bruyamment et au bout d’une heure elle me fut rendue par ordre du général Korsakov.

On me conduisit alors à travers un passage obscur, où je vis des sentinelles armées aller et venir, et on m’introduisit dans une cellule. Une lourde porte de chêne se referma derrière moi, une clef tourna dans la serrure, et je me trouvai seul dans une pièce à demi plongée dans l’obscurité.