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sorte de ligue agraire, analogue à celle qui devint si puissante en Irlande vers 1880.

Après deux mois de tranquillité relative, nous apprîmes au milieu de mars que presque tous les membres du cercle des mécaniciens avaient été arrêtés et avec eux un jeune homme du nom de Nizovkine, un ex-étudiant, qui, malheureusement, avait leur confiance, et, qui, nous en étions certains, ne tarderait pas à essayer de se tirer d’embarras en racontant tout ce qu’il savait à notre sujet. Outre Dmitri et Serge, il connaissait Serdioukov, le fondateur de ce cercle, et moi-même, et il était certain qu’il nous dénoncerait dès qu’on le presserait de questions. Quelques jours plus tard, on arrêta deux tisserands — des gaillards extrêmement suspects, qui avaient même escroqué de l’argent à leurs camarades et qui me connaissaient sous le nom de Borodine. Ces deux hommes allaient sûrement mettre la police sur les traces de Borodine, l’homme déguisé en paysan, qui prenait la parole aux réunions des tisserands. Dans l’espace d’une semaine tous les membres de notre cercle, à l’exception de Serdioukov et de moi, furent arrêtés.

Il ne nous restait plus qu’à fuir de Pétersbourg : c’était justement ce que nous ne voulions pas faire.

Mais notre immense organisation pour faire imprimer des brochures à l’étranger et les introduire en contrebande en Russie ; tout ce réseau de cercles, de fermes et autres foyers d’agitation établis à la campagne, avec lesquels nous entretenions une correspondance dans près de 40 provinces sur 50 que compte la Russie d’Europe et que nous avions eu tant de peine à fonder pendant ces deux dernières années ; enfin, nos groupes d’ouvriers à Pétersbourg et nos quatre différents cercles de propagande parmi les ouvriers de la capitale — comment pouvions-nous abandonner tout cela avant d’avoir trouvé des hommes capables de conserver nos relations et d’entretenir notre correspondance ? Serdioukov et moi décidâmes d’admettre dans notre cercle deux nouveaux membres et de leur confier les affaires. Nous nous