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Livingstone. Un soir que notre réunion avait duré jusqu’à minuit et que nous étions sur le point de partir, une des Kornilovs entra avec un livre à la main et demanda qui de nous pourrait se charger de traduire pour le lendemain matin, à huit heures, seize pages imprimées du livre de Stanley. Je regardai le format du livre et je dis que si quelqu’un voulait m’aider, le travail serait fait dans la nuit. Serge y consentit et à quatre heures du matin les seize pages étaient finies. Nous nous lûmes réciproquement nos traductions, l’un de nous suivant sur le texte anglais ; puis nous vidâmes une écuelle de gruau russe qu’on nous avait laissée sur la table et nous rentrâmes ensemble chez nous. Depuis cette nuit nous devînmes amis intimes.

J’ai toujours aimé les gens actifs et qui s’acquittent sérieusement de leur besogne. La traduction de Serge et sa facilité de travail avaient déjà fait sur moi une impression favorable. Mais quand je le connus davantage, je me mis à l’aimer réellement pour sa nature honnête et franche, pour son énergie juvénile et son bon sens, pour son courage et sa ténacité. Il avait beaucoup lu et beaucoup réfléchi, et nous paraissions avoir les mêmes opinions sur le caractère révolutionnaire de la lutte que nous avions entreprise. Il avait dix ans de moins que moi, et peut-être ne se rendait-il pas bien compte du grave conflit que provoquerait la future révolution. Il nous a parlé plus tard avec beaucoup de verve, de l’époque où il travaillait à la campagne parmi les paysans. « Un jour, nous dit-il, je suivais la route avec mon camarade, quand nous fûmes rejoints par un paysan en traîneau. Je me mis à dire au paysan qu’il ne devait pas payer ses impôts, que les fonctionnaires pillaient le peuple et j’essayai de la convaincre, par des citations de la Bible, qu’il devait se révolter. Le paysan fouetta son cheval, mais nous le suivîmes vivement ; il mit son cheval au trot et nous nous mîmes à courir derrière lui ; je ne cessai pendant tout ce temps de lui parler d’impôts et de révolte. Finalement, il mit son cheval