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plusieurs zemstvos étaient privés de leurs fonctions et recevaient l’ordre de quitter leur province et leurs biens, ou étaient simplement exilés, pour avoir osé adresser une pétition à l’empereur, de la façon la plus loyale, au sujet des droits garantis par la loi aux zemstvos.

« Les membres élus de ces conseils provinciaux doivent être de simples fonctionnaires ministériels et obéir au Ministre de l’Intérieur. » Telle était la théorie du gouvernement de Pétersbourg. Quant aux gens de moindre importance — professeurs, médecins, etc. au service des conseils locaux — ils étaient cassés et exilés par la police dans les vingt-quatre heures, sans autre cérémonie ; il suffisait pour cela d’un ordre de l’omnipotente Troisième Section de la chancellerie impériale. Pas plus tard que l’année dernière (1896), une dame, dont le mari, riche propriétaire foncier, occupe une haute fonction dans un des zemstvos, et qui s’intéresse elle-même beaucoup aux questions d’enseignement, avait invité huit maîtres d’école à la fête de son anniversaire de naissance. « Pauvres gens, se disait-elle, ils n’ont jamais l’occasion de voir d’autres personnes que des paysans. » Le lendemain de la fête, le policier du village se présentait au château et insistait pour avoir les noms des huit maîtres d’école, pour les envoyer à ses chefs. La dame refusa de donner les noms. « Très bien, répliqua-t-il, je les trouverai quand même et je ferai mon rapport. Les maîtres d’école ne doivent pas se réunir et je suis tenu de faire un rapport s’il le font. » La haute situation de la dame couvrit cette fois les maîtres d’école, mais s’ils s’étaient rencontrés dans la maison de l’un d’eux, ils auraient reçu la visite de la police secrète et la moitié d’entre eux aurait été cassée par le ministère de l’Instruction publique ; et si, par hasard, l’un d’eux avait laissé échapper un mot de mécontentement pendant la descente de police, il aurait été interné dans quelque province lointaine. C’est ce qui arrive aujourd’hui, trente-trois ans après l’ouverture des conseils provinciaux et de districts ; mais cela était bien pis entre 1870 et 1880.