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propagande socialiste parmi la jeunesse instruite et un intermédiaire naturel entre les nombreux cercles de la province. Et un jour vint alors où la glace entre étudiants et ouvriers fut brisée et où des relations directes furent établies entre ce cercle et les ouvriers de Pétersbourg ainsi que de certaines villes de province. Ce fut dans ces conjonctures que j’entrai dans le cercle, au printemps de 1872.

Toutes les sociétés secrètes sont cruellement persécutées en Russie, et le lecteur occidental attendra peut-être de moi une description de mon initiation et du serment de fidélité que j’y fis. Je suis contraint de le désappointer, car rien de semblable n’existait et ne pouvait exister. Nous aurions été les premiers à rire de pareilles cérémonies, et Kelnitz n’aurait pas manqué l’occasion de placer une de ses remarques sarcastiques qui aurait mis fin à toute sorte de rituel. Il n’y avait même pas de statuts. Le cercle n’acceptait comme membres que les personnes qui lui étaient bien connues, qui avaient fait leurs preuves dans diverses circonstances, et en qui on savait qu’on pouvait avoir une absolue confiance. Avant de recevoir un nouveau membre, on discutait son caractère avec la gravité et la franchise qui étaient la caractéristique du nihiliste. Le plus léger signe de duplicité ou d’ambition constaté chez un candidat aurait empêché son admission. Le cercle n’ajoutait pas d’importance au nombre de ses membres et il n’avait pas non plus la tendance d’accaparer toute l’activité déployée par la jeunesse ou de réunir en une seule association les nombreux cercles différents qui existaient dans les deux capitales et les provinces. Il entretenait des relations amicales avec la plupart d’entre eux ; ils s’aidaient mutuellement, quand la nécessité s’en faisait sentir, mais on n’essayait pas de toucher à leur autonomie.

Le cercle préférait rester un groupe d’amis intimement unis ; et je n’ai jamais rencontré nulle part une réunion d’hommes et de femmes supérieurs au point de