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tandis que les autres voyageurs poursuivaient leur route ; je pris donc une ligne secondaire et j’arrivai à Cracovie. « La capitale de l’ancienne Pologne est près de la frontière, pensais-je, et j’y trouverai bien quelque juif qui me mènera chez les gens que je cherche. »

J’arrivai le soir dans cette ville jadis célèbre et florissante, et dès le lendemain matin, je me mis en campagne. A mon grand étonnement, je vis à chaque coin de rue et partout où je dirigeai mes regards sur la place du marché, du reste déserte, un juif portant la traditionnelle houppelande et les longs cheveux de ses ancêtres, qui attendait qu’un noble polonais ou un négociant l’envoyât faire une commission pour quelque menue monnaie. Je désirais en trouver un, et voilà qu’il y en avait trop. A qui devais-je m’adresser ? Je fis le tour de la ville et me décidai enfin, en désespoir de cause, à accoster celui qui se tenait à la porte d’entrée de mon hôtel, — un vieux et immense palais dont les salons étaient remplis autrefois d’une foule élégante de danseurs en habits de gala et qui n’avait plus maintenant que la prosaïque destination de procurer le couvert et la table à quelques voyageurs d’occasion. J’expliquai à mon homme mon intention d’introduire en contrebande en Russie un assez lourd ballot de livres et de journaux.

— « Rien n’est plus facile, monsieur, » me répondit-il. « Je vais vous envoyer de suite le représentant de la Compagnie Universelle des (disons) os et chiffons. Cette société brasse les plus grandes affaires de contrebande du monde entier, et son représentant pourra sûrement vous obliger. » Une demi-heure plus tard il revenait effectivement avec le représentant de la Compagnie - un jeune homme très élégant qui parlait admirablement le russe, l’allemand et le polonais.

Il examina mon paquet, le pesa avec les mains, et me demanda quelle sorte de livres il contenait.

— Toutes sortes de livres rigoureusement prohibés par la censure russe ; c’est pour cela qu’il faut les introduire en contrebande.