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que j’avais observée à Genève au Temple Unique, n’existait pas dans les montagnes du Jura. Il y avait là un certain nombre d’hommes qui étaient plus intelligents et surtout plus actifs que les autres : mais c’était tout. James Guillaume, un des hommes les plus intelligents et les plus instruits que j’aie jamais rencontrés, était correcteur d’épreuves et directeur d’une petite imprimerie. Son salaire pour ce travail était si modique qu’il devait passer ses nuits à traduire des romans allemands en français, travaux qu’on lui payait à raison de huit francs pour seize pages. Lorsque j’arrivai à Neuchâtel, il me dit qu’il ne pouvait malheureusement pas distraire quelques heures pour causer avec moi ce jour-là. L’imprimerie publiait une feuille locale, et en dehors de sa tâche habituelle de traducteur et de coéditeur, il devait écrire sur des bandes les adresses d’un millier de personnes, à qui on devait envoyer les trois premiers numéros, et mettre lui-même les journaux sous bande.

Je lui offris mon aide pour écrire les adresses, mais ceci n’était pas possible parce qu’elles étaient mises par lui de mémoire ou inscrites sur des bouts de papier d’une écriture illisible... « Bien, dis-je, dans ce cas je viendrai dans l’après-midi à l’imprimerie et je collerai les bandes, et vous me consacrerez le temps que je vous aurai épargné. »

Nous nous comprîmes immédiatement. Guillaume me donna une chaude poignée de main et ce fut le commencement de notre amitié. Pendant les quelques jours que je fus à Neuchâtel, nous passions nos après-midi à l’imprimerie, lui, écrivant les adresses, moi, collant les bandes, et un communard français, qui était compositeur, causait avec nous, tandis qu’il composait rapidement un roman, entremêlant des phrases dont il disposait les caractères et qu’il lisait à haute voix.

« Le combat dans les rues, disait-il, devint très violent... — « Chère Marie, je vous aime !... » — Les ouvriers