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passé quelques jours à Zurich, je partis pour Genève qui était alors un des principaux foyers du mouvement internationaliste.

Les sections genevoises se réunissaient alors dans le vaste Temple Unique, siège de la Loge maçonnique. Plus de deux mille personnes pouvaient trouver place les jours de réunions générales dans la vaste salle, tandis que les autres locaux étaient occupés chaque soir par les réunions des comités et des sections ou par les cours d’histoire, de physique, de mécanique. Les travailleurs recevaient l’instruction gratuite d’un petit, très petit nombre d’hommes de la classe moyenne, qui s’étaient joints au mouvement, la plupart réfugiés français de la Commune de Paris. C’était à la fois une université populaire et un forum populaire.

L’un des principaux chefs du mouvement qui avait pour centre le Temple Unique, était un Russe, Nicolas Outine, un homme éclairé, adroit et actif ; mais l’âme véritable de ces réunions était une femme russe très sympathique, connue au loin à la ronde parmi les ouvriers sous le nom de madame Olga ; elle était la force active de tous les comités. Tous deux, Outine et madame Olga, me firent un cordial accueil, me mirent en rapport avec toutes les personnes de marque des sections des différents corps de métier et m’invitèrent à assister aux séances des comités. Je répondis à cette invitation, mais je restais de préférence avec les ouvriers eux-mêmes. Tout en prenant un verre de vin aigrelet à une des tables de la salle de réunions, je passais toutes mes soirées parmi les ouvriers et bientôt je me liais d’amitié avec quelques-uns d’entre eux, particulièrement avec un Alsacien, tailleur de pierres, qui avait quitté la France après l’insurrection de la Commune. Il avait des enfants, qui par hasard étaient presque du même âge que les deux enfants que mon frère avait perdus quelques mois auparavant, et je nouai bientôt d’excellentes relations avec la famille et les amis de celle-ci. Je pus ainsi suivre le mouvement dans son caractère