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de la question et une profondeur de conception qui alarmaient encore plus la bourgeoisie que le nombre des adhérents affiliés aux sections ou groupes de l’Internationale. Les jalousies et les préjugés qui avaient existé jusqu’ici en Suisse entre les métiers privilégiés (ceux des horlogers et des bijoutiers) et les métiers plus grossiers (tisserands, ouvriers du bâtiment, etc.) et qui avaient empêché une action commune dans les questions de travail et de salaire, disparaissaient. Les travailleurs affirmaient avec une énergie croissante que de toutes ces différences qui existent dans la société moderne, la plus importante est celle qui sépare les capitalistes de ceux qui non seulement viennent au monde sans un sou, mais qui sont condamnés, toute leur vie, à gagner de l’argent pour une minorité favorisée.

L’Italie, spécialement l’Italie centrale et l’Italie du nord, était couverte de groupes et de sections de l’Internationale ; et on y comprenait que l’unité italienne, si longtemps cherchée, n’avait rien donné au peuple. Les ouvriers étaient invités à faire eux-mêmes leur révolution, à s’emparer de la terre pour les paysans, et des fabriques pour les travailleurs et à abolir l’organisation oppressive et centralisée de l’État, dont la mission historique avait toujours été de protéger et de maintenir l’exploitation de l’homme par l’homme.

En Espagne des organisations similaires couvraient la Catalogne, Valence et l’Andalousie ; elles étaient unies aux puissantes associations ouvrières de Barcelone, qui les soutenaient et avaient déjà introduit la journée de huit heures dans l’industrie du bâtiment. L’Internationale n’avait pas moins de quatre-vingt mille membres payant régulièrement leur cotisation en Espagne ; elle comprenait tous les éléments actifs et pensants de la population ; et en refusant nettement de se mêler aux intrigues politiques de 1871-72, elle avait conquis à un haut degré la sympathie des masses. Les débats de ses congrès provinciaux et nationaux et les manifestes qui en étaient sortis étaient des modèles de critique