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entendaient alors sous le nom de « république » une chose toute différente de l’organisation démocratique d’un gouvernement capitaliste qui porte maintenant ce nom. Quand ils parlaient des États-Unis d’Europe, ils entendaient par là une association fraternelle des travailleurs, la transformation des armes de guerre en instruments de travail, et la libre disposition de ces instruments pour tous les membres de la société et au profit de tous — « le fer aux mains du travailleur, » — comme le disait Dupont dans une de ses chansons. Ils réclamaient non seulement l’égalité devant la loi et l’égalité des droits politiques, mais encore et surtout l’égalité au point de vue économique. Les nationalistes eux-mêmes voyaient dans leurs rêves la jeune-Italie, la jeune-Allemagne et la jeune-Hongrie prendre la tête d’un vaste mouvement de réformes agraires et économiques.

L’échec de l’insurrection de juin à Paris, la défaite des Hongrois par les armées de Nicolas Ier et celle de l’Italie par les Français et les Autrichiens, et la formidable réaction politique et intellectuelle qui suivit partout en Europe, arrêtèrent complètement le mouvement. Sa littérature, son œuvre, ses principes de révolution économique et de fraternité universelle tombèrent purement et simplement dans l’oubli et disparurent dans les vingt années qui suivirent.

Cependant une idée avait survécu — l’idée d’une association fraternelle internationale de tous les travailleurs, que quelques émigrés français continuaient de prêcher aux États-Unis, et les continuateurs de Robert Owen en Angleterre. L’entente réalisée par quelques travailleurs anglais et un petit nombre de travailleurs français délégués à l’exposition internationale de Londres en 1862, devint alors le départ d’un formidable mouvement qui se répandit bientôt sur toute l’Europe et engloba plusieurs millions de travailleurs. Les espérances qui avaient sommeillé pendant vingt ans, se réveillèrent de nouveau quand les travailleurs furent