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Ce fut certainement un mouvement considérable, dont le succès fut merveilleux et la portée très haute. C’est avant tout à l’esprit de sacrifice absolu, que la plupart de ces femmes montrèrent dans toutes les situations possibles, qu’elles durent leur succès. Elles avaient déjà travaillé comme sœurs de charité pendant la guerre de Crimée, plus tard comme organisatrices d’écoles, comme dévouées institutrices de village, comme sages-femmes instruites et aides-médecins pour soigner les paysans. Pendant la guerre de Turquie, en 1878, elles entrèrent en qualité de gardes-malades dans les hôpitaux ravagés par le typhus et provoquèrent l’admiration des chefs militaires et d’Alexandre II lui-même. Je connais deux dames, toutes deux très activement recherchées par la police, qui servirent comme gardes-malades pendant la guerre, sous des noms d’emprunt, confirmés par de faux passeports ; l’une d’elle, la plus grande « criminelle » des deux, qui avait pris une part active à mon évasion, fut même nommée garde-malade en chef, tandis que son amie faillit mourir de la fièvre typhoïde. Bref, les femmes occupaient n’importe quelle situation, quelle qu’en fût l’infériorité dans l’échelle sociale et quelles que fussent les privations qu’elle leur imposât, pourvu qu’elles pussent être utiles au peuple ; et il ne s’agit pas ici de personnes isolées, mais de centaines et de milliers de femmes. Elles ont conquis leurs droits dans la véritable acception du terme.

Un autre caractère de ce mouvement était que la scission qui s’était produite entre les deux générations — les sœurs aînées et les sœurs cadettes — n’existait pas ou avait en grande partie disparu. Celles qui avaient dirigé le mouvement dès son origine n’avaient jamais brisé le lien qui les unissait à leurs sœurs cadettes, bien que ces dernières fussent beaucoup plus avancées dans leurs idéaux que leurs aînées.

Celles-ci, poursuivant leurs buts dans les sphères