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un prisonnier politique fouetté en prison sur son ordre — que les vols commis par cette bande furent connus de tous et que Trépov fut destitué. Croyant qu’il allait mourir, il écrivit son testament, et c’est ainsi qu’on apprit que cet homme, qui s’était fait passer pour pauvre aux yeux du tsar, bien qu’il eût occupé pendant des années le poste lucratif de chef de la police de Pétersbourg, laissait en réalité une fortune considérable à ses héritiers. Quelques courtisans en informèrent le tsar, Trépov perdit son crédit et ce fut alors qu’on porta devant le Sénat quelques-uns des faits de brigandage de la bande Chouvalov-Potapov-Trépov.

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C’était dans tous les ministères un pillage gigantesque, à l’occasion surtout des chemins de fer et des entreprises industrielles. Des fortunes colossales furent faites à cette époque. La marine, comme disait Alexandre II lui-même à l’un de ses fils, était « dans les poches de M. Un Tel. » Les chemins de fer garantis par l’État coûtèrent des sommes fabuleuses. Quant aux entreprises commerciales, on savait partout qu’on ne pouvait en lancer une sans promettre à certains fonctionnaires de différents ministères un tant pour cent. Un de mes amis voulait lancer une affaire à Pétersbourg : on lui dit nettement au Ministère de l’Intérieur qu’il aurait à payer vingt-cinq pour cent des bénéfices nets à une certaine personne, quinze pour cent à un employé du Ministère des Finances, dix pour cent à une quatrième personne. On traitait ces marchés sans mystère et Alexandre II en avait connaissance. Ses propres remarques, écrites sur les rapports du Contrôleur Général, en témoignent. Mais dans ces voleurs il voyait ceux qui le protégeaient contre la Révolution et il les gardait jusqu’au jour où le scandale éclaterait.

Les jeunes grands-ducs, à l’exception de l’héritier présomptif, le futur Alexandre III, qui fut toujours un bon et économe pater familias, enchérissaient sur