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voulu m’en servir comme d’une clef pour expliquer la distribution actuelle des flores et des faunes ; j’aurais voulu ouvrir de nouveaux horizons à la géologie et à la géographie physique.

Mais quel droit avais-je à ces nobles jouissances, lorsque, tout autour de moi, je ne voyais que la misère, que la lutte pour un morceau de pain moisi ? Tout ce que je dépenserais pour pouvoir m’attarder dans ce monde de délicates émotions, serait infailliblement pris dans la bouche même de ceux qui faisaient venir le blé et n’avaient pas assez de pain pour leurs enfants. Cela devait être pris sur le nécessaire de quelqu’un, parce que la production totale de l’humanité est encore trop peu élevée.

Le savoir est une puissance énorme. Il faut que l’homme sache. Mais nous savons déjà beaucoup de choses ! Qu’adviendrait-il si ces connaissances — et rien que ces connaissances devenaient le bien commun de tous ? La science ne progresserait-elle pas alors par bonds, et l’humanité n’avancerait-elle pas à pas de géant dans le domaine de la production, de l’invention et de la création sociale, avec une rapidité que nous pouvons à peine imaginer aujourd’hui ?

Les masses ont besoin d’apprendre ; elles veulent apprendre ; elles peuvent apprendre. Là-bas, sur la crête de cette immense moraine qui serpente entre les lacs comme si des géants en avaient à la hâte amoncelé les blocs pour joindre les deux côtes, voilà un paysan finlandais plongé dans la contemplation des admirables lacs semés d’îles qui s’étendent devant lui. Pas un de ces paysans, fût-il le plus pauvre, le plus accablé de tout, ne passerait là sans s’arrêter pour admirer le paysage. Plus loin, sur la rive d’un lac, un autre paysan chante un si beau chant que le meilleur musicien lui envierait sa mélodie pour le sentiment puissant et la profonde rêverie qui s’en dégagent. Tous deux sentent profondément, tous deux méditent, tous deux pensent ; ils ont mûrs pour étendre le cercle de leurs connaissances ; mais permettez-