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officiels l’annonçaient, qu’une terrible famine serait la conséquence de la première mauvaise récolte dans la Russie centrale — et la famine se produisit en 1876, en 1884, en 1891, en 1895, et de nouveau en 1898.

La science est une excellente chose. Je connaissais les joies qu’elle procure et je les appréciais peut-être plus que ne le faisaient beaucoup de mes collègues. A cette époque même, lorsque je visitais les lacs et les collines de la Finlande, de nouvelles et belles théories scientifiques se dressaient devant moi. Je voyais dans un lointain passé, à l’aurore même de l’humanité, les glaces s’accumulant d’année en année dans les archipels du nord, sur la Scandinavie et la Finlande. L’invasion colossale de la glace s’étendait sur le nord de l’Europe et progressait lentement jusqu’aux régions centrales. La vie s’évanouissait dans cette partie de l’hémisphère boréal, et elle fuyait, misérable, incertaine, de plus en plus vers le sud, sous le souffle glacial qui venait de cette immense masse congelée. L’homme, — pitoyable, faible, ignorant — avait toutes les peines du monde à prolonger sa précaire existence. Des siècles passèrent, puis la glace commença à fondre, et alors vint la période lacustre, où des lacs innombrables se formèrent dans les dépressions, et où une misérable végétation subpolaire commença à envahir timidement les insondables marécages dont chaque lac était environné. Une autre série de siècles s’écoula, puis commença une période de dessiccation extrêmement lente, et la végétation s’étendit peu à peu du sud au nord. Et maintenant, nous sommes en plein dans la période de dessiccation rapide, accompagnée de la formation de prairies sèches et de steppes, et il faut que l’homme découvre les moyens d’arrêter les progrès de cette dessiccation dont a déjà été victime l’Asie centrale et qui menace le sud-est de l’Europe.

C’était alors une grave hérésie de croire que la nappe de glace eût atteint l’Europe centrale. Mais un tableau grandiose se dressait devant moi, et j’aurais voulu le décrire avec les mille détails que j’y voyais ; j’aurais