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des montagnes encore couvertes de neiges en mai, mais à part cela, le voyage était réellement épouvantable. Pour parvenir au sommet du principal col, Khamardaban, c’est-à-dire pour avancer de treize kilomètres seulement, je mis tout un jour, de trois heures du matin à huit heures du soir. Nos chevaux tombaient continuellement à travers la neige qui fondait. A chaque instant, ils plongeaient avec leur cavalier dans l’eau glacée qui coulait sous la croûte de neige. On décida donc de construire une route permanente longeant la côte sud du lac. On perçait à l’aide de mines un passage dans les falaises escarpées presque verticales, qui se dressent le long de la côte, et on lançait des ponts sur des centaines de torrents sauvages qui se précipitent avec furie des montagnes dans le lac. Ce fut aux déportés polonais qu’on fit faire ce dur travail.

Dans le cours du dernier siècle, on a envoyé en Sibérie plus d’une fournée de déportés politiques. Mais avec la soumission au destin qui caractérise les Russes, ils ne se révoltèrent jamais ; ils se laissaient anéantir lentement, mais jamais ils ne tentaient de résister. Les Polonais, au contraire — ceci soit dit en leur honneur — ne furent jamais si soumis, et cette fois encore une révolte éclata. Ils n’avaient évidemment aucune chance de réussir ; ils se révoltèrent néanmoins. Ils avaient devant eux le grand lac, et derrière eux une ceinture de montagnes absolument impraticables, au-delà desquelles commençaient les solitudes sauvages de la Mongolie septentrionale ; mais ils n’en conçurent pas moins le projet de désarmer les soldats qui les gardaient, de se forger ces terribles armes de l’insurrection polonaise — des faux plantées comme des piques au bout de longs pieux, — de s’échapper à travers les montagnes, de traverser la Mongolie et d’aller en Chine où ils trouveraient des navires anglais qui les accueilleraient. Un jour la nouvelle arriva à Irkoutsk qu’une partie des Polonais qui travaillaient à la route du Baïkal avaient désarmé une douzaine de soldats et s’étaient révoltés. On ne put envoyer contre eux d’Irkoutsk