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militairement, mais d’une manière communiste, par l’entente entre tous. Je voudrais que tous ceux qui charpentent des plans d’organisation sociale pussent passer par l’école de la vie réelle avant de commencer à construire leurs utopies : nous entendrions alors beaucoup moins souvent parler de ces projets pyramidaux d’organisation militaire de la société.

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Cependant, la vie en Sibérie devenait de moins en moins attrayante pour moi, bien que mon frère Alexandre m’eût rejoint en 1864 à Irkoutsk, où il commandait un escadron de Cosaques. Nous étions heureux d’être ensemble ; nous lisions beaucoup et nous discutions toutes les questions philosophiques, scientifiques et sociologiques à l’ordre du jour ; mais nous avions tous deux soif de vie intellectuelle, et la Sibérie ne pouvait nous satisfaire sous ce rapport. Le passage à Irkoutsk de Raphaël Pumpelly et d’Adolphe Bastian — les deux seuls hommes de science qui aient visité notre capitale pendant mon séjour là-bas — fut tout un événement pour nous deux. La vie scientifique et surtout la vie politique de l’Europe occidentale, dont nous entendions parler par les journaux, nous attiraient, et le retour en Russie était le sujet auquel nous revenions toujours dans nos conversations. Finalement, l’insurrection des déportés polonais en 1866 nous ouvrit les yeux sur la fausse position que nous occupions tous deux comme officiers de l’armée russe.

J’étais très loin, dans les montagnes du Vitim, quand les déportés polonais, employés à percer une nouvelle route dans les rochers qui entouraient le lac Baïkal, firent une tentative désespérée pour rompre leurs chaînes et passer en Chine en traversant la Mongolie. On envoya des troupes contre eux et un officier russe fut tué par les insurgés. J’appris ces événements à mon retour à Irkoutsk où une cinquantaine de Polonais devaient être jugés par un conseil de guerre. Les séances des conseils de guerre étant publiques en Russie, j’assistai