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Depuis lors notre expédition a été oubliée. L’astronome Th. Ouzoltzev et moi en avons publié un compte rendu dans les « Mémoires » de la Société de Géographie de Sibérie. Mais quelques années plus tard un grand incendie à Irkoutsk détruisit tous les exemplaires qui restaient des Mémoires ainsi que la carte originale du Soungari, et ce ne fut que l’an dernier (1896), lorsqu’on commença à construire le chemin de fer de Mandchourie que les géographes russes déterrèrent nos comptes rendus et découvrirent que la grande rivière avait été explorée trente-cinq ans auparavant.

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Comme il n’y avait plus moyen de s’occuper de réformes, j’essayai de faire ce qu’il semblait possible étant données les circonstances. Mais ce ne fut que pour me convaincre de l’inutilité absolue de pareils efforts. Comme attaché au gouverneur général pour les affaires cosaques, je fis par exemple un examen des plus approfondis des conditions économiques des Cosaques de l’Ousouri, dont les moissons étaient perdues tous les ans, de sorte que le gouvernement, chaque hiver, était obligé de les nourrir pour les sauver de la famine. Lorsque je revins de l’Ousouri avec mes rapports, je reçus des félicitations de tous côtés, j’eus une promotion, j’eus des récompenses spéciales. Toutes les mesures que je recommandais furent acceptées et des fonds spéciaux furent accordés pour aider les uns à émigrer, pour fournir du bétail aux autres, ainsi que je l’avais suggéré. Mais pour la réalisation pratique de ces mesures on s’en remit à un vieil ivrogne qui gaspillait l’argent et faisait impitoyablement donner le fouet aux Cosaques pour les convertir en bons agriculteurs. Et c’est ainsi qu’il en était partout, depuis le Palais d’Hiver à Pétersbourg jusqu’à l’Ousouri et au Kamchatka. Les efforts de quelques-uns dans la bonne direction se brisaient contre l’apathie ou la vénalité de la bureaucratie.

L’administration supérieure en Sibérie avait d’excellentes intentions, et je ne puis que répéter que, tout bien