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traversé le Khingan, ayant revêtu son manteau blanc et mis son chapeau de fonctionnaire surmonté d’un bouton de verre, nous déclara le lendemain qu’il ne nous laisserait pas aller plus loin. Notre « ancien » l’avait reçu, lui et son scribe, dans notre tente, et le vieillard, répétant ce que le scribe lui soufflait tout bas, soulevait toute sorte d’objections contre la continuation de notre voyage. Il voulait nous faire rester sur place pendant qu’il enverrait notre passeport à Pékin en demandant des ordres, mais nous nous y opposâmes absolument. Alors il souleva des difficultés à propos du passeport.

« Qu’est-ce que c’est que ce passeport ? » dit-il en jetant un regard dédaigneux sur cette pièce qui était rédigée en quelques lignes sur une simple feuille de papier écolier en russe en en mongol et qui n’était munie que d’un simple sceau à la cire. « Vous pouvez bien l’avoir écrit vous-même et l’avoir scellé avec une pièce de monnaie, observa-t-il. Regardez-moi mon passeport, voilà qui en vaut la peine, » et il déroula à nos yeux une feuille de papier, longue de deux pieds, couverte de caractères chinois.

Durant cette discussion, j’étais assis tranquillement à l’écart et je mettais quelque chose dans mon coffre, lorsqu’un numéro de la Gazette de Mouscou me tomba sous la main. La Gazette étant la propriété de l’Université de Moscou, portait un aigle imprimé sur la première page. « Montrez-lui ceci, » dis-je à notre ancien. Il déplia la grande feuille de papier et montra l’aigle. « L’autre passeport, c’est ce que nous devons vous montrer, mais voici celui que nous avons pour nous. » « Quoi, tout cela est écrit sur votre compte ? » demanda le vieillard avec terreur. « Tout, » répondit notre ancien, sans même un battement de paupières.

Le vieux — un vrai fonctionnaire — avait l’air tout abasourdi de voir une telle profusion d’écriture. Il nous examina tous, en hochant la tête. Mais le scribe murmurait toujours quelques paroles à l’oreille de son chef,