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Nous choisîmes l’un des Cosaques comme « ancien » de la caravane. C’était à lui qu’incombaient tous les entretiens diplomatiques avec les autorités chinoises. Tous les Cosaques de la caravane savaient naturellement qui j’étais — l’un d’eux m’avait connu à Irkoutsk — mais jamais ils ne me trahirent, comprenant que le succès de l’entreprise en dépendait. Je portais, comme les autres, un long vêtement de coton bleu, et les Chinois ne faisaient pas attention à moi, de sorte que, sans être observé, je pouvais faire le levé de la route à la boussole. Le premier jour seulement, lorsque toute sorte de soldats chinois nous suivaient dans l’espoir d’avoir un verre d’eau-de-vie, j’étais souvent obligé de ne jeter sur ma boussole qu’un coup d’œil à la dérobée et d’inscrire les altitudes et les distances dans ma poche, sans en sortir mon papier. Nous n’avions aucune espèce d’armes. Seul, notre Toungouse, qui allait se marier, avait pris son fusil à mèche, et il s’en servait pour chasser le daim, nous approvisionnant ainsi de viande pour le souper et faisant une provision de fourrures avec lesquelles il pourrait acheter sa future femme.

Quand ils ne purent plus avoir d’eau-de-vie, les soldats chinois nous laissèrent tranquilles. Nous allions tout droit vers l’est, cherchant notre chemin comme nous pouvions par monts et par vaux, et après une marche de quatre ou cinq jours, nous tombâmes en effet, comme on nous l’avait dit, sur la route chinoise qui nous menait à Merghen à travers le Khingan.

A notre grand étonnement, nous vîmes que cette traversée de la chaîne de montagnes qui avait l’air si noir et si terrible sur les cartes, était des plus faciles. Nous rejoignîmes sur la route un vieux fonctionnaire chinois, à la mine pitoyable, qui voyageait dans la même direction dans une voiture à deux roues. Pendant les deux derniers jours la route monta et le pays témoignait lui-même de sa grande altitude. Le sol devint marécageux et la route boueuse ; l’herbe était très misérable et