Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/226

Cette page n’a pas encore été corrigée

leur avaient entendu dire qu’il ne serait pas difficile d’atteindre l’Amour en se dirigeant vers l’est à travers le Grand Khingan. En allant tout droit vers l’est, leur avait-on dit, on tomberait sur une vieille route chinoise qui traverse le Khingan et conduit à la ville mandchoue de Merghen, sur le Nonni, tributaire du Soungari, d’où une excellente route conduit à l’Amour moyen.

On m’offrit la direction d’une caravane marchande que les Cosaques avaient l’intention d’organiser pour découvrir cette route, et j’acceptai avec enthousiasme. Nul Européen n’avait jamais visité cette région, et un topographe russe qui avait suivi cette route quelques années auparavant avait été tué. Seuls deux jésuites, venus du sud du temps de l’empereur Kan-si, s’étaient avancés jusqu’à Merghen et en avaient déterminé la latitude. Toute l’immense région au nord de cette ville, sur une longueur de deux cents lieues et sur une largeur égale, était totalement, absolument inconnue. Je consultai sur cette contrée toutes les sources dont je pouvais disposer. Tout le monde, même les géographes chinois, l’ignorait. D’autre part, il était très important de relier l’Amour moyen avec la Transbaïkalie ; aujourd’hui Tsouroukhaïtou va devenir la tête de ligne du chemin de fer de Mandchourie. Nous fûmes donc les pionniers de cette grande entreprise.

Cependant il y avait une difficulté. Le traité sino-russe accordait à la Russie la liberté du commerce avec l’« Empire de Chine et la Mongolie ». La Mandchourie n’y était pas mentionnée, et pouvait tout aussi bien être ou n’être pas comprise dans le traité. Les autorités chinoises de la frontière l’interprétaient d’une façon et les Russes de l’autre. D’ailleurs, comme il n’était question que de commerce, un officier ne serait pas autorisé à entrer en Mandchourie. Je devais donc y aller en marchand. En conséquence j’achetai à Irkoutsk différents articles et je me déguisai en marchand. Le gouverneur-général me délivra un passeport, « à Petr Alexéiev, marchand de la seconde corporation d’Irkoutsk et à ses compagnons »,