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assez bien pendant le jour : les barques, entraînées par un courant rapide, descendaient le fleuve, et mon équipage, dépourvu d’expérience, n’avait, du moins, aucun intérêt à jeter les embarcations à la rive : cela aurait demandé un effort tout spécial. Mais quand vint l’obscurité et que nos grandes barques de cinquante tonneaux, lourdement chargées, durent être amenées à la rive et amarrées pour la nuit, l’une d’elles, qui était loin devant celle où je me trouvais, ne fut arrêtée qu’au moment où elle était plantée sur un roc, au pied d’une falaise inaccessible extrêmement élevée. L’embarcation était immobilisée et le fleuve enflé par les pluies baissait rapidement. Mes dix hommes ne pouvaient évidemment la déplacer. Alors, je descendis jusqu’au prochain village pour demander du secours aux Cosaques, et en même temps j’envoyai un message à un de mes amis, officier de Cosaques, qui résidait à environ huit lieues de là et qui avait quelque expérience de ces sortes de choses.

Le matin vint. Une centaine de Cosaques, hommes et femmes, étaient venus à mon aide ; mais il n’y avait pas moyen d’établir une communication entre le bord du fleuve et la barque afin de la décharger, tant l’eau était profonde au-dessous de la falaise. Et dès que nous essayâmes de la pousser vers l’eau, le fond se brisa et l’eau y entra, entraînant la farine et le sel de la cargaison. A mon grand désespoir, je voyais une grande quantité de petits poissons qui entraient par le trou et nageaient dans la barque, et j’étais fort embarrassé ; je ne savais que faire.

En pareille occurrence, il y a un remède simple et efficace. On jette un sac de farine dans le trou, il en prend bientôt la forme, et la croûte extérieure de pâte qui se forme dans le sac empêche l’eau de pénétrer dans la farine ; mais personne parmi nous ne connaissait cet expédient. Par bonheur, quelques instants après, on signala une barque descendant la rivière et s’approchant de nous. L’apparition du cygne qui amenait Lohengrin ne fut pas saluée avec plus d’enthousiasme par Elsa