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complications diplomatiques ». Mouraviev devait donc agir sous sa propre responsabilité et compter sur les maigres ressources que pouvait fournir pour cette grande entreprise la population si clairsemée de la Sibérie orientale. D’ailleurs, on dut agir à la hâte, afin d’opposer le « fait accompli » aux protestations que cette annexion soulèverait certainement de la part des diplomates de l’Europe occidentale.

Une occupation purement nominale n’aurait pas eu de valeur, et on conçut l’idée d’avoir sur toute la longueur du grand fleuve et de son tributaire méridional l’Ousouri — soit plus de 4000 kilomètres — une chaîne de villages russes, afin d’établir une communication régulière entre la Sibérie et la côte du Pacifique. On avait besoin d’hommes pour ces villages, et comme la population insuffisante de la Sibérie orientale ne pouvait les fournir, Mouraviev ne recula devant aucun moyen pour se procurer des hommes. Des forçats libérés qui, après avoir accompli leur peine, étaient devenus serfs dans les mines impériales, furent affranchis et on les organisa en Cosaques transbaïkaliens. Une partie furent établis le long de l’Amour et de l’Ousouri, formant ainsi deux nouvelles communautés cosaques. Puis Mouraviev obtint la libération de mille hommes condamnés aux travaux forcés (la plupart étaient des voleurs et des meurtriers) et ils furent établis comme hommes libres sur l’Amour inférieur. Il vint en personne assister à leur départ et au moment où ils allaient s’éloigner, il les exhorta sur la rive : « Allez, mes enfants ; cultivez le sol et faites-en une terre russe ; commencez une nouvelle vie, » et ainsi de suite. Les paysannes russes suivent presque toujours leur mari, de leur propre mouvement, quand il est condamné aux travaux forcés en Sibérie, et la plupart des futurs colons avaient leur famille avec eux. Mais ceux qui n’en avaient pas firent observer à Mouraviev : « Est-ce que l’agriculture est possible sans femme ? Il faut que nous soyons mariés. » Alors Mouraviev ordonna de mettre en liberté