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le trouvions pendu à un arbre : les révolutionnaires l’avaient exécuté. Telle fut la situation pendant des mois, sans espoir d’amélioration, jusqu’à ce que Miloutine vînt affranchir les paysans et leur donner la terre. Alors tout fut fini. Les paysans se mirent de notre côté ; ils nous aidèrent à arrêter les bandes et l’insurrection prit fin. »

En Sibérie j’ai souvent parlé de cette question avec les exilés polonais, et quelques-uns comprenaient la faute qui avait été commise. Une révolution doit être dès ses premiers débuts, un acte de justice envers les « maltraités et les opprimés » et non une promesse de faire plus tard cet acte de réparation. Sinon elle est sûre d’échouer. Par malheur, il arrive souvent que les chefs sont tellement absorbés par de simples questions de tactique militaire qu’ils oublient le principal. Et lorsque les révolutionnaires ne réussissent pas à prouver aux masses qu’une nouvelle ère a réellement commencé pour eux, ils peuvent être sûrs que leur tentative échouera.

On connaît les désastreuses conséquences que cette révolution eut pour la Pologne : c’est du domaine de l’histoire. On ne sait pas encore aujourd’hui exactement combien d’hommes périrent dans les batailles, combien de centaines furent pendus et combien de dizaines de mille furent déportés dans différentes province de la Russie ou de la Sibérie. Mais les chiffres officiels publiés en Russie il y a quelques années montrent que dans les provinces lituaniennes seules — pour ne rien dire de la Pologne proprement dite — « Mouraviev le Pendeur », cet homme terrible à qui le gouvernement russe vient d’ériger un monument à Vilno, fit pendre, de sa propre autorité, 128 Polonais et fit déporter en Sibérie et en Russie 9 423 hommes et femmes. Des listes officielles, publiées aussi en Russie, indiquent 18 672 personnes exilées de Pologne en Sibérie, sur lesquelles 10 407 furent envoyées dans la Sibérie orientale. Je me souviens que le gouverneur-général de la Sibérie orientale me donna le même nombre, environ 11 000 personnes, condamnées à subir les travaux forcés