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abandonner aux flammes le Corps des Pages. » Quelqu’un observa : « Nous devrions peut-être en référer à notre directeur ? » — « Que le diable emporte toute la bande ! On ne les trouverait pas avec une lanterne. Va et agis par toi-même. »

J’allai donc une fois de plus à la recherche du général Annenkov, et on finit par me dire qu’il devait être dans la cour de la Banque. Quelques officiers, en effet, formaient le cercle autour d’un général que je reconnus être le gouverneur général de Pétersbourg, le prince Souvorov. Mais le portail était fermé, et un employé qui se trouvait à l’entrée refusa de me laisser passer. J’insistai, je menaçai, et, enfin, je fus admis. Alors, j’allai tout droit au prince Souvorov qui écrivait une note sur l’épaule de son aide de camp. Quand je l’eus informé de la situation, sa première question fut : « Qui vous envoie ? » Je répondis : « Personne... Les camarades. » — « Alors, vous dites que le Corps va prendre feu ? » — « Oui. » Il partit à l’instant, et prenant dans la rue une boîte à chapeau vide, il en couvrit sa tête afin de se protéger contre la chaleur brûlante qui émanait des boutiques en feu, et il courut à toute vitesse vers la ruelle. Des barils vides, de la paille, des boîtes de bois couvraient la ruelle entre les flammes des magasins d’huile et les bâtiments du corps des Pages, dont les châssis des fenêtres et les pilastres fumaient déjà. Le prince Souvorov agit avec résolution. « Il y a une compagnie de soldats dans votre jardin, me dit-il. Prenez un détachement et déblayez la rue tout de suite. On amènera immédiatement un tuyau de la pompe à vapeur. Vous le ferez jouer sans interruption. Je vous le confie personnellement. »

Il ne fut pas facile de faire sortir les soldats du jardin. Ils avaient vidé les barils et les boîtes de leur contenu, et, les poches pleines de café, des débris de pains de sucre cachés dans leurs képis, ils goûtaient pleinement la douceur de cette nuit d’été, en croquant des noix. Personne ne voulu bouger jusqu’à ce qu’un officier intervînt.