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Bientôt après un nouveau monde s’ouvre devant lui — la vie des classes laborieuses — et il apprend de ceux-là même qu’il voulait enseigner.

Cinq ou six ans plus tard se produit la seconde phase de la crise. Kropotkine est en Suisse, il avait abandonné le groupe des socialistes d’État, par crainte d’un despotisme économique, par haine de la centralisation, par amour de la liberté de l’individu et de la commune.

Cependant ce n’est qu’après sa longue détention en Russie et lors de son second séjour parmi les ouvriers intelligents de la Suisse française que la conception, vague encore en lui, d’un nouvel état social, prend la forme plus distincte d’une fédération de sociétés coopérant à la façon des compagnies des chemins de fer ou des administrations des postes de différents pays. Il sait qu’il ne peut pas dicter à l’avenir la route qu’il aura à suivre ; il est convaincu que tout doit provenir de l’activité édificatrice de la masse, mais il compare, pour mieux se faire comprendre, le futur état social aux corporations et aux rapports mutuels qui existaient au moyen âge, et qui furent l’œuvre des classes inférieures. Il ne croit pas à la distinction entre dirigeants et dirigés ; mais je dois avouer que je suis assez vieux jeu pour me réjouir lorsque Kropotkine, par une légère inconséquence, dit quelque part, en faisant l’éloge d’un ami, qu’il était « né meneur d’hommes. »

L’auteur se déclare révolutionnaire, et cela à juste titre. Mais rarement il y a eu un révolutionnaire si humain et si doux. Et on est tout étonné, lorsque, parlant de la possibilité d’un conflit armé avec la police suisse, se manifeste en lui l’instinct belliqueux qui existe en chacun de nous. Il ne peut dire alors avec certitude si lui et ses amis furent heureux ou déçus en voyant que le conflit n’avait pas eu lieu. Mais ce passage est unique