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Son frère Alexandre, qui devint l’héritier présomptif en 1865 et qui fut plus tard Alexandre III, formait un contraste absolu avec Nicolaï Alexandrovitch. Il me rappelait tellement Paul Ier par sa physionomie, par toute sa personne et le sentiment de sa grandeur que j’ai souvent dit : « S’il règne jamais, il sera un nouveau Paul Ier dans le palais de Gatchina et il finira comme son arrière-grand-père, sous les coups de ses courtisans. » Il refusait obstinément d’étudier. Le bruit courait qu’Alexandre II, ayant eu beaucoup de difficultés avec son frère Constantin qui était plus instruit que lui, résolut de concentrer toute son attention sur l’héritier présomptif et de négliger l’éducation de ses autres fils. Cependant je doute qu’il en fût ainsi : Alexandre Alexandrovitch doit avoir eu de la répugnance pour l’étude depuis l’enfance. Il est certain que son orthographe dont je pus me rendre compte dans les télégrammes qu’il adressait à sa fiancée à Copenhague, était d’une incorrection inimaginable. Je ne puis figurer ici son orthographe russe, mais en français il écrivait : « Écri à oncle à propos parade... les nouvelles sont mauvaisent... »

On dit que son caractère s’améliora vers la fin de sa vie, mais en 1870 et beaucoup plus tard encore, il était toujours resté un vrai descendant de Paul Ier. Je connaissais à Pétersbourg un officier d’origine suédoise — c’était un Finlandais, qu’on avait envoyé aux États-Unis commander des fusils pour l’armée russe. A son retour il eut à présenter un rapport sur sa mission à Alexandre Alexandrovitch, désigné à cette époque pour diriger de réarmement. Pendant cet entretien le tsarévitch, se laissant complètement aller à son violent caractère, se mit à réprimander l’officier ; celui-ci probablement répliqua avec dignité, ce qui fit entrer l’héritier dans un véritable accès de rage, et il insulta l’officier d’une façon grossière. L’officier appartenait à ce type d’hommes dévoués aux institutions mais soucieux de leur dignité qu’on rencontre fréquemment parmi la noblesse