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structure de l’Asie ne se dirigent pas du nord au sud, ni de l’ouest à l’est, mais du sud-ouest au nord-est. Il met sa découverte à l’épreuve, il l’applique à de nombreux faits isolés, — et tout la corrobore. C’est ainsi qu’il connut sous sa forme la plus noble et la plus pure la joie de la révélation scientifique et qu’il sentit combien cette joie élève l’âme.

Alors vient la crise. La pensée que ces joies ne peuvent être goûtées que par un tout petit nombre d’êtres le remplit de douleur. Il se demande s’il a le droit de jouir de son savoir tout seul, sans partage. Il sent qu’il y a un plus grand devoir à remplir — contribuer à porter à la masse du peuple la science déjà acquise, plutôt que de travailler à faire de nouvelles découvertes.

Quant à moi, je ne crois pas qu’il eût raison. Avec de telles idées, Pasteur n’aurait pas été le bienfaiteur de l’humanité qu’il a été. Après tout, dans la longue suite des âges, tout tourne au profit de la masse du peuple. Je crois qu’un homme fait tout ce qu’il peut pour le bien-être de tous, lorsqu’il produit pour tout le monde avec le plus d’activité possible ce qu’il est capable de produire. Mais cette idée fondamentale est la caractéristique de Kropotkine ; elle l’exprime tout entier.

Et cette conception l’entraîne plus loin. En Finlande, où il va faire une nouvelle découverte scientifique, car l’idée se présente à lui — c’était alors une hérésie — que dans les âges préhistoriques toute l’Europe septentrionale était ensevelie sous les glaces, il est si vivement touché de compassion pour les pauvres, pour les souffrants, qui souvent connaissant la faim et dont la vie est une véritable lutte pour l’existence, qu’il croit que son devoir le plus grand, son devoir absolu est de devenir pour la grande masse laborieuse et déshéritée un maître et un appui.