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où Napoléon Ier avait aboli le servage (sur le papier), qu’on eut recours. Le gouverneur-général de ces provinces, Nazimov, parvint à obtenir de la noblesse lituanienne l’adresse désirée. En novembre 1857 le fameux « rescrit » au gouverneur-général des provinces lituaniennes annonçant l’intention du tsar d’abolir le servage, fut lancé, et nous lûmes, les larmes aux yeux, l’admirable article de Herzen : « Tu as vaincu, Galiléen, » dans lequel les réfugiés de Londres déclaraient qu’il ne considéraient plus Alexandre II comme un ennemi, mais qu’ils l’assisteraient dans la grande œuvre d’émancipation.

L’attitude des paysans fut très remarquable. Dès que la nouvelle se répandit que la libération si longtemps désirée allait venir, les insurrections cessèrent à peu près complètement. Maintenant les paysans attendaient, et pendant un voyage qu’Alexandre fit dans la Russie centrale, ils l’entourèrent en grand nombre à son passage en l’implorant de leur accorder la liberté — supplique qu’Alexandre reçut cependant avec une grande répugnance. Il est très curieux, tant est grande la force de la tradition — que le bruit courait parmi les paysans que c’était Napoléon III, qui dans le traité de paix, avait exigé du tsar l’affranchissement des paysans. J’entendis souvent cette assertion ; et à la veille même de l’émancipation les paysans semblaient douter que cela se fît sans une pression de l’étranger. « Rien ne se fera si Garibaldi ne vient pas, » répondit un paysan à l’un de mes amis qui lui parlait de la « liberté prochaine. »

Mais après ces moments de joie générale vinrent des années d’incertitude et d’inquiétude. Des comités institués tout exprès dans les provinces et à Pétersbourg discutaient la proposition de libération des serfs, mais les intentions d’Alexandre restaient indécises. Continuellement la censure interdisait à la presse de discuter les détails. Des rumeurs sinistres circulaient à Pétersbourg et vinrent jusqu’à notre corps.

Il ne manquait pas de jeunes gens parmi la noblesse qui travaillaient sérieusement et franchement à l’abolition de l’ancien