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aider leurs élèves à saisir le sens réel des choses qu’ils étudient.

Dans notre école tout avait pour but notre éducation militaire. Mais nous aurions travaillé avec le même enthousiasme à tracer une voie ferrée, à construire une cabane ou à cultiver un champ ou un jardin. Cette aspiration des enfants et des jeunes gens vers le travail réel reste inutilisée parce que notre conception de l’école est toujours celle de la scolastique, du monastère du moyen âge !

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Les années 1857 à 1861 furent des plus importantes dans l’histoire de l’évolution intellectuelle de la Russie. Tout ce qu’avait dit tout bas, dans l’intimité des réunions d’amis, la génération représentée dans la littérature russe par Tourguénev, Tolstoï, Herzen, Bakounine, Ogarev, Kavéline, Dostoïevski, Grigorovitch, Ostrovsky et Nekrasov, commençait alors à percer dans la presse. La censure était encore très rigoureuse ; mais ce qu’on ne pouvait dire ouvertement dans les articles politiques, passait en contrebande sous forme de nouvelles, d’esquisses humoristiques, ou de commentaires voilés sur les événements de l’Europe occidentale, et chacun savait lire entre les lignes et comprendre.

N’ayant pas de relations à Pétersbourg, à part les amis de l’école et un petit nombre de parents, je restais en dehors du mouvement radical de cette époque — ou plutôt j’en étais on ne peut plus éloigné. Et cependant ce fut peut-être la caractéristique la plus nette de ce mouvement de pouvoir pénétrer dans une école « bien pensante » comme notre corps, et de trouver un écho dans un cercle comme celui de mes parents de Moscou.

A cette époque je passais mes dimanches et mes jours de congé chez ma tante dont j’ai parlé dans un chapitre précédent sous le nom de princesse Mirski. Le prince Mirski ne songeait qu’aux dîners extraordinaires, tandis que sa femme et leur jeune fille menaient une vie fort gaie. Ma cousine était une très belle fille de