Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/134

Cette page n’a pas encore été corrigée

éteindre après la récitation de certaines prières. Les membres de la famille impériale tenaient aussi des cierges, et un jour le jeune fils du grand-duc Constantin, voyant que les autres éteignaient leurs cierges en les renversant, fit de même. Il mit ainsi le feu derrière lui à la gaze noire qui pendait d’un des écussons, et en une seconde, l’écusson et l’étoffe de coton étaient en flamme. Une immense langue de feu s’éleva le long des lourds plis du manteau de fausse hermine.

Le service fut suspendu. Tous les regards se dirigeaient avec terreur vers cette langue de flammes qui s’élevait de plus en plus vers la couronne de carton et la charpente qui supportait tout le dais. Des lambeaux d’étoffe enflammés commençaient à tomber, menaçant de mettre le feu aux voiles de gaze noire des dames présentes.

Alexandre II ne perdit sa présence d’esprit que pendant quelques secondes ; il se remit immédiatement et dit d’une voix calme : « Il faut enlever le cercueil ! » Les pages de chambre le couvrirent immédiatement de l’épais brocart d’or et nous nous avançâmes tous pour soulever le lourd cercueil ; mais pendant ce temps la longue langue de feu s’était divisée en un grand nombre de petites flammes, qui maintenant dévoraient lentement le léger duvet superficiel du coton. Mais à mesure qu’elles s’élevaient elles rencontraient plus de poussière et de suie, et c’est ainsi qu’elles s’éteignirent peu à peu dans les plis.

Je ne puis dire ce qui attirait le plus mes regards : les progrès des flammes ou les belles figures immobiles des trois demoiselles d’honneur qui se tenaient près du cercueil, avec les longues traînes de leurs robes noires retombant sur les marches, et les voiles de dentelle noire flottant sur leurs épaules. Aucune n’avait fait le moindre mouvement : elles étaient comme trois belles statues taillées dans la pierre. Mais dans les yeux noirs de l’une d’elles, mademoiselle Gamaléïa, des larmes brillaient comme des perles. C’était une fille de la Russie du sud, et elle était la seule personne réellement belle parmi les dames d’honneur de la Cour.