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Weissmann-Spencer, dans les recherches de Galton et dans les ouvrages des néo-Lamarckiens. Avec son esprit philosophique et critique, Alexandre avait vu immédiatement l’importance de ces questions pour la théorie de la variabilité des espèces, quoiqu’elle échappât alors à bien des naturalistes.

Je dois mentionner aussi une excursion dans le domaine de l’économie politique. Dans les années 1858 et 1859 tout le monde, en Russie, s’entretenait d’économie politique. Les conférences sur le libre-échange et les droits protecteurs attiraient les foules, et mon frère, qui n’était pas encore absorbé par l’étude de la variabilité des espèces, prit pendant quelque temps un vif intérêt aux questions économiques.

Il m’envoya l’Économie politique de J.-B. Say en me priant de la lire. Je ne lus que quelques chapitres : les tarifs et les opérations de banque ne m’intéressaient pas le moins du monde ; mais Alexandre s’en occupait avec tant de passion qu’il écrivit sur ce sujet des lettres jusqu’à notre belle-mère et essaya de l’initier au mystère des questions douanières. Plus tard, en Sibérie, en relisant quelques-uns de nos lettres de cette époque, nous riions comme des enfants lorsque nous tombions sur un de ses épîtres où il se plaignait de l’incapacité de notre belle-mère à s’intéresser à des sujets pourtant si brûlants, et rageait contre un marchand de légumes qui, « le croirais-tu », écrivait-il avec des points d’exclamations, « quoique marchand, affectait une indifférence stupide et obstinée pour les questions de tarif ! »

Tous les étés, la moitié environ des pages était emmenée au camp de Péterhof. Les classes inférieures étaient cependant dispensée de s’y rendre, et je passai les deux premiers étés à Nikolskoïé. Je me faisais une telle joie de quitter l’école, de prendre le train de Moscou et de retrouver Alexandre dans cette ville que je comptais les jours qui me séparaient encore de ce grand événement. Mais une année, un grand désappointement m’attendait à Moscou. Alexandre avait échoué à ses