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Conte d’une Vie.) Dans ces deux genres de mémoires, l’auteur s’occupe donc avant tout de ce qu’ont pensé et dit de lui ses contemporains.

L’auteur de l’autobiographie que nous avons sous les yeux ne nous entretient point de ses talents, et par conséquent il ne nous dit pas les luttes qu’il eut à soutenir pour faire apprécier son mérite. Il se préoccupe encore moins des opinions que ses contemporains ont eues sur lui. Il ne dit pas un mot de ce que les autres ont pensé de lui.

Dans ce livre l’auteur ne se complaît pas à contempler sa propre image. Il n’est pas de ceux qui parlent volontiers d’eux-mêmes ; quand il le fait, c’est à contrecœur et avec une certaine timidité. Ici l’on ne trouvera pas de confession qui révèle l’homme intime, pas de sentimentalité, pas de cynisme. L’auteur ne parle ni de ses fautes, ni de ses vertus ; il ne se laisse aller avec le lecteur à aucune intimité vulgaire. Il ne dit point quand il est amoureux, et il parle si peu de ses relations avec le beau sexe qu’il omet même son mariage, et ce n’est qu’incidemment que nous apprenons qu’il est marié. Il est père, et un père très aimant, mais il trouve tout juste le temps de le dire une fois quand il résume rapidement ses seize dernières années.

Il est plus soucieux de nous donner la psychologie de ses contemporains que la sienne ; et l’on trouve dans son livre la psychologie de la Russie : de la Russie officielle et des masses populaires, de la Russie qui lutte pour le progrès et de la Russie réactionnaire. Il cherche plus à conter l’histoire de ses contemporains que la sienne ; et par conséquent le récit de sa vie renferme l’histoire de la Russie à son époque aussi bien que l’histoire de mouvement ouvrier en Europe pendant la dernière moitié du siècle. Quand il s’analyse lui-même