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récite pendant le Grand Carême et qui est réellement belle à cause de la simplicité des mots, du sentiment qui l’anime et de l’aversion qu’elle exprime pour l’esprit de domination. Pouchkine l’a traduite en vers russes.

Plus tard, à Pétersbourg, j’allai plusieurs fois dans une église catholique romaine, mais le caractère théâtral du service et le défaut de sentiment réel qu’on y remarque me choquèrent d’autant plus que je voyais avec quelle foi simple un ancien soldat polonais ou une paysanne priaient dans un coin écarté. J’allai aussi dans une église protestante, mais en sortant je murmurai involontairement les paroles de Gœthe : « Vous serez admirés des enfants et des singes ; mais jamais vous n’unirez les cœurs si vos discours ne viennent pas du cœur. »

Cependant Alexandre avait embrassé la religion luthérienne avec sa passion ordinaire. Il avait lu le livre de Michelet sur Servet, et marchant sur les traces de ce grand lutteur il s’était fait à lui-même une religion. Il étudia avec enthousiasme la déclaration d’Augsbourg, qu’il copia et m’envoya, et nos lettres furent dès lors pleines de discussions sur la grâce et de textes empruntés aux apôtres Paul et Jacques. Je suivais mon frère sur ce terrain, mais les discussions théologiques ne m’intéressaient pas profondément. Depuis que j’étais guéri de ma fièvre typhoïde, c’était une toute autre lecture qui m’attirait.

Notre sœur Hélène, qui maintenant était mariée, habitait Pétersbourg, et chaque samedi soir j’allais la voir. Son mari avait une bonne bibliothèque, où les philosophes français du dix-huitième siècle et les historiens français modernes étaient largement représentés, et je me plongeai dans ces lectures. Ces livres étaient prohibés en Russie, et je ne pouvais évidemment pas les emporter à l’école. Aussi passais-je chaque samedi la plus grande partie de la nuit à lire les ouvrages des encyclopédistes, le Dictionnaire philosophique de Voltaire, les œuvres des Stoïciens, surtout de Marc-Aurèle,