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neur dans la littérature de tout peuple civilisé si on les connaissait à l’étranger.

Le corps des pages ressentit aussi l’effet de cette renaissance. A part quelques exceptions on avait dans les trois classes inférieures le goût de l’étude. L’inspecteur Winkler dirigeait l’enseignement. C’était un colonel d’artillerie de bonne éducation, bon mathématicien et homme de progrès. Il s’avisa d’un excellent moyen de stimuler notre zèle. Au lieu des professeurs quelconques chargés autrefois de donner l’enseignement dans les classes inférieures, il s’efforça d’y placer les meilleurs. Son opinion était qu’un professeur n’est jamais trop bon pour enseigner les éléments d’une matière du programme aux tout jeunes élèves. C’est ainsi que pour commencer l’algèbre en quatrième il fit venir un mathématicien de premier ordre, pédagogue consommé, le capitaine Soukhonine, et la classe s’adonna immédiatement aux mathématiques. Or, ce capitaine était précepteur de l’héritier du trône, — Nikolaï Alexandrovitch, qui mourut à l’âge de vingt-deux ans, — et l’héritier présomptif venait une fois par semaine au corps des pages assister à la leçon d’algèbre du capitaine Soukhonine. L’impératrice Marie Alexandrovna, qui était une femme cultivée, pensait que le contact de jeunes gens studieux serait peut-être pour son fils un stimulant. Il était au milieu de nous et devait comme les autres répondre aux questions. Mais le plus souvent, lorsque le professeur parlait, il dessinait, d’ailleurs très convenablement, ou chuchotait toutes sortes de drôleries à ses voisins. C’était un brave garçon, très gentil dans ses manières, mais superficiel dans ses études et encore plus dans ses affections.

Pour la cinquième l’inspecteur choisit deux hommes remarquables. Il entra dans notre classe un jour, tout radieux, et nous dit que nous avions bien de la chance, car le professeur Klassovsky, un grand savant, très expert dans la littérature russe consentait à nous enseigner la grammaire russe et il nous suivrait de classe en classe pendant nos cinq années. Un autre professeur,